la raccommodeuse de pantoufles

la raccommodeuse de pantoufles porte les stigmates des jours tranquilles
elle tutoie les osselets, elle câline les ligaments
elle connait bien les itinéraires des parquets
elle soigne les retraites, elle délivre les repos
 
sur les perrons on s’envitamine de promesses printanières
le facteur garde les factures pour la semaine prochaine
le paysan fait le décompte de ses veaux femelles
un chien de chasse s’est trompé de saison dans le fourré
 
on mange des spaghetti à l’ail et à l’huile de noix
on s’échauffe le sang à l’alcool de betterave
un malandrin vent des clarinettes bancales venues d’Anatolie
le menuet se boite, la polka dérupite
 
la raccommodeuse de pantoufles patine élégamment sur son plancher
 

l'allumeuse des feux

l’allumeuse des feux porte un estagnon de mazout
elle embrase l’étoupe vestige des fêtes du fleuve
elle mâchouille des jurons et des clous de girofle
elle connait par sa peau les lignages des huissiers
 
il pleut une pluie batave sur l’angélus des mises bas
une eau de récurage raconte la sale vie
il faudra bien secouer les étoiles pour le bal nègre
il pleuvra des confettis de plomb parfumés à la bière
 
on se choucroute un quatre heures
on s’enivre de jeune muscat
un ocarina aigrelet fait danser la vieille ville
la décrue révèle un couple de fantassins noyés sous le pont
 
l’allumeuse des feux a flambé sa culotte
 

l'arracheuse d'orties

l’arracheuse d’orties met des gants en peau de crocodile
elle est la reine des fossés et des bas-côtés des jardins
elle croque les chrysalides des vanesses
et fait peur aux filles sages qui rentrent de l’école
 
du tapioca sur les paupières et du grésil sur la rétine
un message du ministère et le salaire de l’usurier
du millet sur la casquette et des myrtilles sur les pupilles
une déclaration de guerre et la rançon des grenadiers
 
on fait bouillir de vieilles vaches avec des légumes d’hiver
on boit du vin de grenache parfumé de miel d’oranger
on rembobine l’orgue de Barbarie
le sergent de ville lance des pétards chinois sous la cantine

l'arracheuse d'orties entend un foxtrot du diable dans le cervelet

la nettoyeuse des coffres

 

la nettoyeuse des coffres a les doigts bouffés d’ammoniac

elle a subtilisé trois bagues, un pommeau de canne et un œil de verre
elle les a donnés, pour le soudoyer, à un accessoiriste de théâtre
elle l’embrassera, c’est sûr, avant le tomber de rideau
 
l’académie des sourires et les émotions au sirop
le protocole du fou-rire et les pirouettes des mots
le cérémonial de la claque et la fiole des larmes
le concours des eaux de toilette et le funambule succès
 
on suçote des crevettes sur du pain de campagne
on boit du vin nouveau à même le carafon
la banquière s’est tranché l’annulaire par manque de chagrin
le piano mécanique joue des nocturnes à l’envers
 
la nettoyeuse des coffres est bien seule pour le charleston
 

la graisseuse d'arquebuses

la graisseuse d’arquebuses boit des tisanes de silènes
elle connait les généraux de guerre et les bannières conquises
elle joue des hymnes martiaux sur un vieux xylophone
elle se maquille de poudre noire et de pierre à fusil
 
des troncs et des rocs, de la boue et des ronces
des esclaves nues en gants blancs
des catapultes et du napalm, de la mitraille et des neutrons
des femelles serviles aux seins scarifiés
 
on fait cuire le cochon dans une sauce au genièvre
on boit des ratafias butin de guerre
le capitaine déglutit bruyamment dans le dortoir des recrues
la sentinelle joue du clairon pour refouler la mort
 
la graisseuse d’arquebuses invite au menuet une patrouille ennemie
 

l'accoucheuse de libellules

 

l’accoucheuse de libellules lave ses torchons à l’eau de pluie

elle dénoue la chitine et boulonne les rostres
elle rappond les lumières et la boite à rythme
on connait l’habileté de ses mains et son grand ravissement
 
dans ses tiroirs des ailes et des ciseaux
dans ses buffets des tissus et des dentelles
dans sa boite à couture des billes et des agates
dans sa poche des perles et des boutons
 
on mange des épis de maïs trempés de moutarde
on croque des noisettes et des pommes séchées
on boit du jus de lys dans des coupes à champagne
une jeune fille joue du bugle dans la ruelle malade
 
l’accoucheuse de libellules déchire son tutu pour en faire des moïses
 

l'aiguiseuse de patins

l’aiguiseuse de patins sautille parmi ses limes, ses pierres et ses burettes d’huile
elle collectionne des boîtes de pansements vides
elle fait peur aux enfants avec ses histoires de glace qui craque et qui chante
elle connait la météo avec le bruit de la roselière
 
des feux de genièvre sur la berge
des batailles de gratte-cul
des confettis de baies d’argousier
un chien jaune sous les sapins
 
on mange des bricelets avec du chocolat chaud
on donne des rendez-vous aux amoureuses pour le dégel
on s’embrasse en espérant les lèvres collées par le froid
un trombone déchire l’air avec un chant de toundra
 
l’aiguiseuse de patins martèle une danse laponne en riant
 

la saleuse des soupes

la saleuse des soupes défile dans tous les concours
elle porte une robe d’organdi et un tablier de chanvre
elle sourit aux jardiniers et aux équarrisseurs
elle enfantera un chevalier gambette dans le marais salant
 
le journal du matin surveille le thermomètre
les dents du givre mordent les pattes du chat
un enfant ne va pas à l’école, il dort au fond du bus
les mauvaises notes et les caramels collés au fond de la poche
 
un orgue de Barbarie rallume le brasero
on distribue des tasses de bière chaude aux épices
on mange des cervelas grillés et des bretzels
on raconte des histoires de fesses et de nichons
 
la saleuse des soupes fait danser la soif de ses soupirants
 

la surveillante des pois mange-tout

la surveillante des pois mange-tout fait sa tournée de libellules
elle terrorise les parasites avec des cure-dents et du jus d’ail
elle se moque du chardonneret et sourit aux orties
elle sifflote un air à trois temps en haussant les épaules
 
une brassée d’épinards pour son matelot
une fourchée de luzerne pour sa vache
des fleurs de ciboulette pour son docteur
une tige de valériane pour son agneau
 
on mange le jardin juste avant l’averse
on boit un sérac pressé avec la confiture d’abeille
on mange le courrier place de l’horloge
on boit une bière de valse flamande
 
la surveillante des pois mange-tout boite de la hanche sur du papier à portée
 

l'arrangeuse des morts

l’arrangeuse des morts colle les lèvres et les paupières du macchabée
elle choisit le myosotis et le mimosa
elle sème le trouble chez les hommes de la ville
la crainte et le désir de se faire manipuler par cette femme
elle tient un répertoire de souhaits individuels
 
présence du calvaire à l’agonie
recettes de thanatologie secrète
prières rassurantes et banales
petites mains en solitaire dans la pénombre
 
on mange de la soupe aux légumes pendant les préparatifs
un vieux fromage un bon vin pour la mémoire et le respect
l’accordéon joue les pleureuses dans le salon
on boit on pleure on boit on rit
l’accordéon renifle moins et se fait musette
 
l’arrangeuse des morts tangote éperdue avec le fossoyeur
 

la promeneuse de truies

la promeneuse de truies remonte la rue des lavoirs
elle renifle l’iris des fontaines et le lisier de la rigole
elle sait l’impatience des adolescentes
elle colportera du gasoil et des hauts-bois
en échange de lavures et de légumes flétris
 
le quartier derrière la gare se destine aux horions
on y dresse des palissades et des colères
il n’y a plus de fleurs ni d’oiseaux
l’orchestre de chambre est en désaccord
les tarifs du bal champêtre sont ceux de l’opéra
 
dans la rue des outils on mange des panais
dans la rue des pansements on boit du vin de groseilles
sur la place du commerce on fume du tabac gris
on rajoute des tambours aux quatre coins de l’estrade
 
la promeneuse de truies gigote dans le parc à bestiaux
 

l'éplucheuse de patates

l’éplucheuse de patates fait le décompte des frites nécessaires
elle écoute dans son casque une musique du Sénégal
elle regarde les épluchures comme on regarde un tableau
elle rêve d’une robe de bal en soie indienne
ça cogne dans son ventre un tambour de liberté sensuelle
 
c’est l’heure des étudiants affamés
elle sourit de leurs amours boutonneuses
c’est l’heure des mères esseulées
elle ne comprend pas leur lassitude
c’est l’heure des ivrognes
elle rajoute du sel pour leur soif
 
on annonce un jour de congé pour l’avènement d’un président
on promet de la neige pour le carnaval
on prépare un grand bal pour un anniversaire démocratique
 
l’éplucheuse de patates roule des hanches devant l’évier

l'habilleuse de chardonnerets

l’habilleuse de chardonnerets trempe ses aiguilles dans les volcans
elle dompte les flûtes et les trompettes
elle cajole dans le sens de la plume des capes et des boléros
elle faufile les claquements de becs et les cliquetis des pattes-croches
 
l’élégance sur une branche de houx
marché-concours dans les roseaux
public de libellules et de crapauds
toute la joaillerie de l’étang
sur la grande scène de l’hiver
 
on boit du jus de pomme à la cannelle
on mange des tapas de confits d’oie
on chante des chansons paillardes
en reluquant sous les jupes des fougères
 
l’habilleuse de chardonnerets danse avec le charleston avec un héron venu du sud
 

la couturière de drapeaux

la couturière de drapeaux invente de nouvelles bannières
pays à naître, associations vétéranes, fanfares insolites
elle explique à ses canaris les arguments de ses blasons
elle fredonne un air de jazz rythmé par le zigzag de sa machine
et elle coud sa culotte sur son prochain drapeau
 
un pied sur le gazon, c’est la fête à Charlotte
un pied dans le coton, c’est la fête à Gavotte
un pied sous l’édredon, c’est la fête au Glouton
 
une main sur l’épaule, c’est la fête à l’Iscariote
une main sur la guibole, c’est la fête à Cocotte
une main sur l’aréole, c’est la fête à Jeanneton
 
on grille des œufs au lard pour les gymnastes
on fait des tartines à la mélasse pour les filles aux cerceaux
à la pêche miraculeuse, des capotes et des manchons
 
la couturière entraîne dans la danse un porte-drapeau rougeaud et naïf

 

la palefrenière kosovare

la palefrenière  kosovare brouette le crottin des chevaux nobles
il y a une musique de Béla Bartók dans le paddock
elle claque du sabot et danse avec la fourche
son chignon s’illumine de poussière de paille
 
balzane de une
pied dans la lune
balzane de deux
soutien-gorge au feu
balzane de trois
loup dans les bois
balzane de quatre
amant de plâtre
 
on trafique des balles d’avoine sur les quais de la gare
on mange du müesli aux baies de myrtilles
on boit de la tisane d’ortie et de mauve
une grand-mère tire les cartes et prédit de l’orage
 
la palefrenière kosovare danse le jerk sous la foudre