1440 minutes

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editions d'autre part

mardi 23 février 2010

des chagrins suffisants

j'aime dans les grands deuils
mesurer les chagrins différents

les voisins les voisines
en chapelets en familles
les cousines les cousins
en pagaille en rangées

une poignée de main
une embrassade
un mot de compassion
une banalité

ceci est mon mort
prenez et mangez
ma douleur est la plus digne

j'aime dans les grands deuils
mesurer les chagrins apparents

les amis les aminches
en cravate en costume
les guinches les ribotes
en chemise en sabots

que faire du goupillon
poser la gerbe de travers
sourire plein de gêne
se moucher bruyamment

ceci est mon mort
prenez et mangez
ma douleur est la plus digne

j'aime dans les grands deuils
mesurer les chagrins suffisants

les chefs les collègues
en délégation obligée
la clique la fanfare
bannière en berne

une chaussure qui grince
un reniflement qui chuinte
un mouchoir qui tombe
un soupir qui tangue

ceci est mon mort
prenez et mangez
ma douleur est la plus digne

j'aime dans les grands deuils
mesurer les chagrins encombrants

les notables les paroissiens
par devoir par habitude
les contemporains l'amicale
un de moins sur la liste

une pensée profonde
un poème de petite-fille
un bouquet de jonquilles
une offrande de messe

ceci est mon mort
prenez et mangez
ma douleur est la plus digne

j'aime dans les grands deuils
mesurer les chagrins conquérants

une fille de rue un ivrogne
bras dessus bras dessous
une nièce un homme de couleur
en amour bouche en cœur

une vraie larme à peine fausse
un bon mot dit trop fort
une prière chuchotée
un silence tenace

ceci est mon mort
prenez et mangez
ma douleur est la plus digne

j'aime dans les grands deuils
mesurer les chagrins tolérants

une autre veuve une autre peine
en robe noire en voilette
une inconnue une étrangère
et son parfum reconnu

une bougie qu'on souffle
un secret dans le linceul
deux femmes qui pleurent
sincères condoléances

ceci est mon mort
prenez et mangez
ma douleur est la plus digne

le navet qui pourrit effluve le chef d’œuvre

23 février 2010

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