1440 minutes

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editions d'autre part

dimanche 31 janvier 2016

je documente les annales


la caravane de bois arrêtée par la ravine
la tripaille du chamois livrée aux charognards
le guide des randonnées trahi par l’avalanche
le merle des roches qui joue son cairn à la loterie

je documente les annales d’une bourgeoisie alpine

le thé du bûcheron arrosé d’alcool de patates
le bâton de dynamite pour exploser les chagrins
la litanie des saints mineurs pour les vendredis maigres
le pain de seigle trempé dans la soupe aux choux

je documente l’iconographie des reposoirs de la vallée

le journal des morts et les coutumes successorales
le fromage pour le curé, la vigne pour les contemporains
le banc d’église réservé aux jeunes veuves
la colère de dieu pour les chenapans d’en face

je documente le registre des sentences exemplaires

le plan-horaire qui n’indique jamais les heures d’arrivée
la girouette qui ne tourne plus et montre le nord
l’hirondelle qui a perdu l’usage de ses valises
la lune de janvier qui fredonne sa toussaint

je documente le calendrier du potager avec des dates moisies

je jette la clé de la bibliothèque dans le coffre à farine

mardi 26 janvier 2016

je décompte la mitraille


la pendule qui remet le couvert pour annoncer les louanges
le fruit défendu volé en plein jour au supermarché
la mappemonde pour les îles, la pelle pour le trou
le simulacre du repentir et la grimace du pardon

je décompte la mitraille sous la roulotte du tire pipe

le sifflet du départ pour dénoncer les retardataires
le figuier qui rend l’âme devant le vol de bourdons
le plan du cimetière en guise de jeu de piste
l’aplomb du garde-champêtre au milieu du jeu de l’oie

je décompte les billes abandonnées sur le préau

la sirène des trois-huit qui bat le rappel des meurtrissures
la poignée de raisins secs dans les poches du tablier
le plan d’évacuation de l’usine pour les piquets de grève
l’arrêt du syndicat devant la porte anti-feu

je décompte les flèches de miséricorde plantées dans la fiche de paie

la cloche qui sonne le glas des rencontres fortuites
l’abricot pour le désir, la cerise pour la queue
la carte du tendre dans la poche revolver
la recette de l’illusion devant le livre du devoir

je décompte les indulgences à la saison des adieux
je consigne dans un registre les erreurs d’aiguillage


samedi 16 janvier 2016

je ramasse un fagot


la griffure de sel sur la joue de l’amoureuse
l’angoisse de la ronce, le sourire du chardon
la renoncule qui s’invente une passerelle vers la joie
la trace d’un seul pied nu dans la vase du marais

je ramasse un fagot pour un feu de balise

le tatouage d’un prénom à la naissance du sein
la rupture imbécile qui trahit le décolleté
le myosotis qui perd son chemin, la pivoine qui le console
la marque de peinture rouge sur le tronc du saule condamné

je ramasse un panier de pives pour la cheminée

le bijou de trois sous en guise de promesse
la liste des prénoms chiffonnée dans la poche
l’œillet à la boutonnière de la braguette
le piège à lacet au cou de la bartavelle

je ramasse une brassée d’herbes sèches pour un signal de fumée

le nœud au mouchoir pour ne pas oublier de pleurer
le vin pétillant bu toute seule à même le goulot
le chrysanthème et le pissenlit qui se donnent la main
la nichée de chardonnerets dévastée par le chat

je ramasse des pétoles de lièvre pour le semainier

je donne au rossignol une partition en mineur

mardi 12 janvier 2016

je raconte l'itinéraire


la caravane arrêtée par la ravine et le bruit de la guerre
les chevaux qui se chuchotent des souvenirs d’avoine
le feu à une souche, le décompte des cartouches
les consignes pour le froid, la prière pour la peur

je raconte l’itinéraire des béatitudes

la carte d’état-major gribouillée par un singe
l’étalon qui renifle l’odeur de la jument
la purée de pois chiches lapée à même la gamelle
la table de la loi, l’arbalète du patriarche

je raconte l’incertitude de l’étoile

la bannière qui fait de l’ombre sur le chemin du serpent
le sabot de la vieille cavale au milieu du front
le pain trempé dans l’huile, la tisanes aux épines
le diktat d’un roi fou, la promesse d’une danseuse

je raconte le conditionnel du sel et du vent

le chameau disant à ses frères qu’il va mourir
le poulain défaillant qui lui souhaite bonne route
la soupe de lentilles dans la boîte en fer blanc
le code de loyauté dans le poème d’une vierge

je raconte la généalogie des fennecs rebelles

je ne dis rien des rapts et des pillages

dimanche 10 janvier 2016

je somnole une valse


le fantôme habillé par une couturière fantasque
le chandelier d’os de chèvre illuminant le miroir
la gomme et le crayon se disputant l’adjectif
la cloche de janvier répétant en sourdine son credo

je somnole une valse au fond du corridor

le souvenir d’une robe blanche tachée de groseille
la broussaille incendiée pour assécher les chagrins
le mot-croisé tordu aux couleurs verticales
le fifres dans la poche du veston chuchotant un menuet

je somnole un jeu à l’élastique dans la cour des filles

le tablier de la veuve sur l’étendard du dimanche
le rayon de soleil effronté pour réchauffer la culotte
le bâton de pastel pour mettre du rose aux joues
la guimbarde qui chatouille les lèvres réveillant le désir

je somnole une tempête de draps humides

la chemise rouge et sans col du condamné
la lampe-torche sous le menton pour faire tête-de-mort
le badigeon d’encre de Chine griffonnant la grimace
le roulement de tambour pour relever la tête

je somnole une révolution à l’hospice des vieux anars
je ronfle un peu, chuintant la condition humaine


dimanche 3 janvier 2016

j'assèche l'aquarelle


le chandail crucifié sur la porte de l’écurie
le chagrin connecté au dortoir des offenses
les mendiants dans la soucoupe pour l’écureuil borgne
l’envie de la musique sur le banc de granit

j’assèche l’aquarelle quand pointent les larmes

les pantalons futaines crottés après la chasse
le carnet de leçons pour collecter les châtaignes
les cerises au porto pour le chien de la grand-mère
le menuet au clavecin pour les après-midis langoureux

j’assèche la flaque des amours trop sucrées

la mantille froissée par une sieste inattendue
la lettre lue et relue pour consumer la passion
l’abricot confit dans une papillote
la sonatine grelottée derrière la chapelle

j’assèche la source des pucelles tourmentées

la blouse de satin pour dissoudre les frissons
le cahier d’écriture qui butte sur l’alphabet
la soupe aux lettres pour digérer les gros mots
le roulement de tambour qui secoue l’échine

j’assèche l’étang des regrets par mon écluse ouverte
je pétris ton limon pour façonner du rêve


samedi 2 janvier 2016

je convoque l'eau-de-vie


l’annonce des fiançailles qui perce sous le givre
le protocole des amours faisant la culbute dans le pré
la vieille jument dormant sous son manteau de laine
la généalogie inscrite dans chaque grain d’avoine

je convoque l’eau-de-vie à la table de la loi

les gaudrioles en sarabande restées sur le paillasson
le plan-horaire de l’occupation des chambres
l’étalon de secours pour sauver le cheptel
le vétérinaire en fuite avec le carnet des saillies

je convoque l’eau-de-Javel pour la purification du code

le décompte des jours pour sourire au malade
le dessin du cardiogramme sur la carte des risques
la mule docile en redingote de souille
la mutation des sexes pour des besoins de guerre

je convoque l’eau-de-feu pour cautériser la mort

l’organigramme du clan pour partager les récoltes
le tictac de la montre pour toute symphonie
le cheval à bascule perdu sur l’autoroute
la pension alimentaire due par le soldat inconnu

je convoque l’eau-de-Lourdes pour rétablir la paix

je dispense la sentinelle de son tour de garde