1440 minutes

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editions d'autre part

mardi 30 novembre 2010

la nuit monte vite

la nuit monte vite
sur le marais de l’ancien fleuve
un héron maussade
sommeille sur un tronc de saule
les roseaux se taisent
et regrettent les rousseroles
je fume du tabac gris
sur le trottoir du vide
je fume
et décompte les amitiés vieilles

la nuit monte vite
sur le canal de brume
une foulque agacée
broute de l’herbe brune
les joncs se taisent
et regrettent les phragmites
je fume du tabac jaune
sur la passerelle du doute
je fume
et décompte les querelles tenaces

la nuit monte vite
sur les vergers de fatigue
une pie taciturne
dépiaute une pomme tombée
les chardons se taisent
et regrettent les bouvreuils
je fume du tabac brun
sur le quai des ruptures
je fume
et décompte les actes manqués

la nuit monte vite
sur le bosquet de peupliers
une troupe de corneilles
s’installent pour la nuit
les bardanes se taisent
et regrettent les rouge-queue
je fume du tabac noir
je fume
et décompte les espoirs avortés

la nuit monte vite
la nuit monte trop vite
je fume
et décompte une vie sorcière

30 novembre 2010

dimanche 28 novembre 2010

comme une pomme caramélisée

et puis
comme une pomme caramélisée
une heure à perdre
abandonner le temps compté comptable
contempler la sitelle à ses affaires
respirer l’éternité et le présent
saluer la calendule sous la neige
arpenter le vide et le silence
oublier sans remords le poème perdu

et puis
comme une araignée à sa toile
une heure à pendre
poser un fil à plomb sur le battant de l’horloge
décompter le tambourin de l’épeiche
funambuler le fil tendu entre les secondes
saluer la chrysalide sur l’ortie
arpenter la croix et le chemin
décrocher avec tendresse le poème pendu

et puis
comme un glas sonné dans le village
une heure à tuer
refermer la paupière et le sépulcre
tremper sa plume dans le noir du corbeau
dénouer le faire-part et l’hommage
saluer le gel sur le chrysanthème
arpenter le souvenir et la tombe
ensevelir sans remords le poème mort

et puis
comme un reflet de soleil sur la vitre
une heure à naître
inventer un nouveau petit nom de baptême
coucher sur la portée la cantate du merle
repeindre en sucre glace le lait de nourrice
saluer le sureau exorciste
arpenter le premier souffle et la promesse
accueillir avec tendresse le poème nouveau-né

28 novembre 2010

mardi 23 novembre 2010

les grands labeurs de l'automne

jeter les feuilles mortes aux grandes orgues
carder les épilobes à la fenêtre
chausser les sabots pour la mousson
façonner des boutons d’os et de corne

les grands labeurs de l’automne
font l’échine ronde et les cals

bénir le jardin
tisser une corde
saler les choux
embrasser sa mère
écrire à un ami


balayer les factures devant la porte
cuire et recuire la marmelade de coing
couper l’élastique des chaussettes
tricoter une écharpe de haine

les grands labeurs de l’automne
font la cervelle aigre et l’insomnie

aiguiser la faux
retendre la corde à linge
huiler la bêche
saluer son père
apprendre une chanson


brûler les remords pleins de vermine
fumer le petit lard sous le hangar
graisser le ressort des souricières
coudre une doublure au vieux chandail

les grands labeurs de l’automne
font les épaules lourdes et la migraine

tailler le poirier
fermer le jardin
bercer le rosier
embrasser sa femme
écrire un nouveau poème


les grands labeurs de l’automne
font le regard fatigué et la mélancolie

embrasser sa femme
récrire le même poème
et passer l’hiver

23 novembre 2010

nous emmêlons

regard étincelle
année-lumière à ta poitrine
je remonte la passerelle
vers la cuisine
soupe aux légumes et fromage vieux
nous emmêlons nos rires
et nos soucis

je t’aime
je t’aime jusqu’au fond du bol

prunelle danse
année-lumière à ton jupon
je remonte l’échelle de corde
vers le grenier
souvenirs jaunis et livres vieux
nous emmêlons nos rêves
et nos carnets du lait

je t’aime
je t’aime jusqu’au dernier centime

pupille brûle
année-lumière à ton cœur
je remonte l’escalier
vers la chambre
dentelles fines et corset vieux
nous emmêlons nos désirs
et nos grains de peaux

je t’aime
je t’aime jusqu’à la marée de l’aube

je t’aime
je t’aime jusqu’aux marais salants

sans gêne ni rapière

23 novembre 2010

dimanche 21 novembre 2010

quelqu'un a dû pousser l'interrrupteur

quelqu’un a dû pousser l’interrupteur

une éolienne de bronze dans la trachée
un sirocco brûlant dans le pharynx
un chant d’incendie
un hymne de caverne

ces voix viennent des volcans
des abysses
de la banquise
ces voix parlent une langue
d’oiseaux de mer et d’insectes
elles mettent à mal des dieux et des dogmes
elles mettent bas des tempêtes et des aurores
elles réconcilient les forêts
et bénissent les roses trémières


quelqu’un a dû pousser l’interrupteur

des ventilateurs dans les hautbois
des souffleries dans les bassons
une cantate de cristal
un hymne de torrent

ces voix viennent des glaciers
des avalanches
de la paroi de granit
ces voix parlent une langue
de lagopèdes et de bouquetins
elles mettent à mal une déesse et ses sbires
elles mettent bas des trompettes et des floraisons
elles consolent les grèves
et soulagent les boutons de pivoines


quelqu’un a dû pousser l’interrupteur

des vibrations dans les bronches
des vrombissements dans les ventres
un opéra de cathédrale
un hymne de haut-fourneau

ces voix viennent des usines
des forges
des laminoirs à ciel ouvert
ces voix parlent une langue
de scies et d’enclumes
elles mettent à mal le diable et ses prêtresses
elles mettent bas des gouffres et des orages
elles aiguisent les querelles
et bercent les ruminations d’aubépines


quelqu’un a dû pousser l’interrupteur
j’attends sans impatience
le bal des machines de l’insomnie

quelqu’un a dû pousser l’interrupteur
j’attends sans impatience
le bal des machines de l’insomnie


21 novembre 2010

vendredi 19 novembre 2010

qu'à démesure

il n’y a de mesure qu’à démesure
il n’y a de chant qu’à contrechant

un bout de parchemin
en robe du soir
une lettre d’amour
en nuisette ajourée
un certificat médical
en chemise à carreaux
un avis de droit
en petite liquette

c’est du Mozart en béchamel
c’est du Mahler en garbure
comment dit-on
comment dit-on les manques et les envies


il n’y a de mesure qu’à démesure
il n’y a de danse qu’à contredanse

un pacte du jour
en papier d’Arménie
un salut solennel
en buvard jaunâtre
un sacrement de nuit
en carton bitumé
un contrat sans témoin
sur une liste mailing

c’est du Mozart en béchamel
c’est du Satie à la ficelle
comment dit-on
comment dit-on les manques et les envies


il n’y a de mesure qu’à démesure
il n’y a de point qu’à contrepoint

un silence avoué
sur le porte-manteau
un regard receleur
sur la poignée complice
une promesse à défaire
sur le sentier trahi
un ordre ravalé
au bloc opératoire

c’est du Mozart en béchamel
c’est du Schubert en rémoulade
comment dit-on
comment dit-on les manques et les envies

19 novembre 2010

dimanche 14 novembre 2010

mourir d'excès

je mourrai
je mourrai d’un excès de sucre
jus d’abeilles et danse de caresses
cerises au sirop et melons confits
liqueur de cassis et meringues
barba papa et bastringue
caramel petit filet et douce liesse
vin de pêche et lacrima christi
appuyé sur des cannes
je mourrai d’un excès de sucre

mais je mourus d’un excès d’alcool
et je ressuscitis aussitôt
et je ressuscitos au City
et je ressuscitas au guignol
et je ressuscitol en petit tas


je mourrai
je mourrai d’un excès de sel
prairie de salines et suc de Gomorrhe
liqueur de mer morte et bœuf en croûte
bouillon cube et réduction de consommé
viande en saumure et petit lard fumé
goûte goûte sale et sale encore
concentré de sodium et salpêtre sans doute
décharné dans le désert
je mourrai d’un excès de sel

mais je mourus d’un excès d’alcool
et je ressuscitis aussitôt
et je ressuscitos au City
et je ressuscitas au guignol
et je ressuscitol en petit tas


je mourrai
je mourrai d’un excès de vitesse
sortie de route et mur du son
liqueur de bielles et carlingue en miettes
année lumière et cervelle vitrifiée
chute libre et vol de martinet
nerfs en pelote et neurones pris d’ivresse
embardée du cœur et voltige des poumons
catapulté dans le ciel
je mourrai d’un excès de vitesse

mais je mourus d’un excès d’alcool
et je ressuscitis aussitôt
et je ressuscitos au City
et je ressuscitas au guignol
et je ressuscitol en petit tas


je mourrai
je mourrai d’un excès de zèle
richesse du protocole et sombre répétition
cumul aveugle et frustration sourde
noir ravissement et froid éblouissement
fleurs fauchées et coupe de sentiments
diagnostic forcené et funeste obsession
fierté en bidon et bêtise en gourde
ficelé dans les mots d’ordre
je mourrai d’un excès de zèle

mais je mourus d’un excès d’alcool
et je ressusciti aussitôt
et je ressuscito au City
et je ressuscita au guignol
et je ressuscitol en petit tas

le navet qui pourrit effluve le chef d’œuvre

14 novembre 2010

samedi 13 novembre 2010

une tentation

une tentation
clouée sur la porte de la grange
comme une interdiction
comme un ultimatum
que reste-t-il
après que la brume
ait tout emporté

une tentation
pendue à la branche du poirier
comme un talisman
comme un oracle
que reste-t-il
après que la brume
ait tout escamoté

une tentation
fichée en terre dans le jardin
comme un épouvantail
comme une menace
que reste-t-il
après que la brume
se soit déchirée

une tentation
accrochée à la corde à linge
comme un fétiche
comme un appât
que reste-t-il
après que la brume
se soit dissoute

une tentation
piquée au milieu d’un bouquet
comme un signal
comme un message
que reste-t-il
après que le soleil
ait fait son baptême

une tentation
déposée sur la boîte à lettres
comme une halte
comme un recueillement
que reste-t-il
après que le soleil
ait tout blanchi

une tentation
couchée sur le paillasson
comme une offrande
comme une bienvenue
que reste-t-il
après que le soleil
se soit révélé

une tentation
épinglée au rideau de la chambre
comme une langueur
comme une invite
que reste-t-il
après que le soleil
se soit consumé

jusqu’au trognon

sans gêne ni rapière

13 novembre 2010

mercredi 10 novembre 2010

tu remets une bûche

la vase au fond de l’étang
garde le secret des libellules
je cueille le jonc des tonneliers
ce soir de lune noire
le bonheur est en terre battue
devant le cellier aux légumes
la chemise sent la fleur de foin
une salopette danse sur la coursive
le vin chante l’écurie transpire
une porte grince sous le vent
je rentre par le sentier des granges
le bétail est tranquille
le monde est à l’arrêt
le roi peut s’endormir
ainsi que le chat
ainsi que l’araignée

tu remets une bûche dans le feu de notre amour
tu jettes une forêt sur notre bel incendie

la glaise sur le chemin
garde le secret des belladones
je cueille des raisins oubliés
dans le matin frisquet
le bonheur est en terre cuite
sur le bord de la fenêtre
la chemise sent la lavande
les épis de maïs dansent sous l’avant-toit
je réchauffe la soupe de poireaux
pain grillé et vieux fromage
bientôt la lecture du journal
la page des morts et les éphémérides
le monde est à l’arrêt
le roi peut s’endormir
ainsi que le chat
ainsi que l’araignée

tu remets une bûche dans le feu de notre amour
tu jettes une forêt sur notre bel incendie

la terre des labours
gardent le secret des avoines
je cueille les pives de mélèzes
ce jour de première neige
le bonheur est en terre arable
sous les semelles des socques
la chemise sent l’humus
le chien mouillé dort sur le perron
je jette du lard aux pinsons
une pomme rouge pour le vieux merle
je fume sur le banc
une chanson bucolique
le monde est à l’arrêt
le roi peut s’endormir
ainsi que le chat
ainsi que l’araignée

tu remets une bûche dans le feu de notre amour
tu jettes une forêt sur notre bel incendie

le monde est aux arrêts
le roi dort
ainsi que le chat
ainsi que l’araignée
le bouffon est insomniaque
il veille sur l’ordre des choses

tu remets une bûche dans le feu de notre amour
tu jettes une forêt sur notre bel incendie

sans gêne ni rapière

10 novembre 2010

mardi 9 novembre 2010

un vieux cheval fourbu

un vieux cheval fourbu
me fourvoie les méninges

la pelisse fatiguée
d’un chagrin ordinaire
le regard un peu faux
de tendresse soldée
la musique des bronches
du carrousel fantôme
le portemonnaie marron
au zinc des cacahuètes
l’exéma du bitume
dans le champ de luzerne
l’ascenseur de l’étoile
au palais des stigmates
l’ennui à quatre mains
des pivoines et des roses
et la fenêtre ouverte
sur le bal des martyres

un vieux cheval fourbu
me fourvoie les méninges

l’éponge délaissée
d’un chagrin anthracite
les galets de la grève
sous la marée des flics
une envie de sourire
au crabe trisomique
le coucou mécanique
sur l’écran de contrôle
la marmelade tiède
sur le pain du lundi
le ticket du toubib
pour le transport de l’âme
le corset de la dame
de la plage lombaire
la bière moussaillonne
du rafiot fossoyeur

un vieux cheval fourbu
me fourvoie les méninges

la cravate nylon
d’un chagrin au rabais
la péninsule noire
d’un quartier oublié
le bouquet de tulipes
à l’arrêt d’autobus
le filet grand veneur
à la roulette russe
le parfum en bidon
dans le métro du soir
le saxo cabossé
sur le mur de l’école
la leçon de conduite
sur une carte postale
le gain de la loterie
selon le plan de guerre

un vieux cheval fourbu
me fourvoie les méninges

les cuissardes crottées
d’un chagrin de banlieue
le renard orphelin
au vestiaire de la crèche
la sucette framboise
dans la poche du maître
le salaire consterné
devant le frigidaire
le vrai portrait robot
sur le permis de séjour
le moineau électrique
dans la lanterne rouge
le rideau de velours
sur le néon grésille
et la tendresse enfuie
dans un papier kleenex

un vieux cheval fourbu
me fourvoie les méninges
un vieux cheval couché
me fourvoie les méninges
et fait le décompte du reste

9 novembre 2010

samedi 6 novembre 2010

les jours sont comptés

ça y est les jours sont comptés
les catastrophes
les affrontements

un avion est tombé
sur un océan du nord

un taciturne brûle des livres
pour réchauffer la soupe
une écervelée réapprend à compter
sur les digicodes de l’hôpital
un enfant sourd grimace
devant la grosse caisse
un chien coupé oreilles couilles et queue
lèche la main de sa patronne


ça y est les jours sont comptés
les feux de forêts
les guérillas

un train a brûlé
dans un tunnel alpin

un forcené récite un poème
dans les haut-parleurs du parking
une délaissée hautaine
prend congé dans un tonneau de porto
un enfant idiot
se bave une berceuse
un chien coupé oreilles couilles et queue
lèche la main de sa patronne


ça y est les jours sont comptés
les ouragans
les attentats

un camion citerne a explosé
dans le marché aux esclaves

un illuminé lance des imprécations
sur les trottoirs du doute
une hémiplégique danse une hémi-salsa
dans l’atelier purgatoire
un enfant bègue répète à l’infini
une moitié de phrase
un chien coupé oreilles couilles et queue
lèche la main de sa patronne


ça y est les jours sont comptés
les couvre-feux
les révoltes

le vélo est tombé
dans la cour de la ferme

un chien coupé oreilles couilles et queue
mord la main de sa patronne

6 novembre 2010

vendredi 5 novembre 2010

dans le grand fracas

devant la porte de la caverne
un enfant souffle dans un os
dans le même temps
devant la porte du métro
un tzigane fait pleurer son violon

le monde vibre
dans le grand fracas des tempêtes et des typhons
dans le grand fracas des volcans et des orages
la mégapole danse
et le désert chante


dans la cave du caboulot
une trompette déchire la fumée
dans le même temps
dans le haut-parleur du supermarché
un synthé diffuse une musique dentifrice

le ciel vibre
dans le grand fracas des avions et des bombardiers
dans le grand fracas des blizzards et des siroccos
le viaduc sur le bras de mer danse
et la forêt de feuillus chante


sur la place du village
un homme tape sur des bidons
dans le même temps
dans la grande nef
une cantatrice lance des kyrie

l’océan vibre
dans le grand fracas des sirènes et des cachalots
dans le grand fracas des brise-glace et des thoniers
la plateforme pétrolière danse
et la banquise chante


dans l’os de la tempe
la vie rythme son allant
dans le même temps
dans les orgues des bronches
la vie siffle son hymne

l’humain vibre
dans le grand fracas des joies et des peines
dans le grand fracas des envies et des doutes
le cervelet mène la danse
et le cœur délivre le chant


l’humain vibre
dans le grand fracas
l’esprit vibre
dans le grand fracas

depuis le premier matin
la danse et le chant

5 novembre 2010